Chronique

Les problèmes inquiétants du CHUM

Attendez un peu. Si je comprends bien, l’un des plus gros chantiers au Québec, celui du CHUM, semble être géré « tout croche » par un consortium dont l’un des principaux partenaires a une situation financière fragile ? Et le Québec devra vivre avec les conséquences pendant 30 ans ?

L’enquête de mon collègue Réjean Bourdeau, parue dans La Presse de samedi, donne froid dans le dos. Plusieurs éléments préoccupent les employés du chantier.

D’abord un rappel. Le Centre hospitalier de l’Université de Montréal, le CHUM, est un projet de 3,6 milliards. La première partie est terminée (le centre de recherche) et la seconde est en cours (environ 3,1 milliards pour le nouveau CHUM). Quelque 2800 travailleurs s’y activent, ce qui en fait un chantier gigantesque.

Le consortium qui a obtenu le contrat est formé par l’espagnole OHL et de la britannique LOR*, entre autres. Il doit construire, financer et entretenir le centre hospitalier universitaire, alors que le gouvernement du Québec en sera le locataire pendant 30 ans, versant un loyer en conséquence. Bref, le super-projet est un partenariat public-privé.

Or voilà, des employés du chantier dénoncent le manque flagrant de planification. Certains soutiennent qu’il s’agit du pire chantier des dernières décennies au Québec.

Des murs sont refaits à répétition, des systèmes de ventilation sont jetés, des kilomètres de tuyaux sont remplacés, des toilettes préfabriquées sont détruites. 

« Sur plusieurs étages, ils ont installé des portes avant de poser le revêtement de plancher, alors il a fallu tout enlever. Sur un autre, les murs ont été rouverts pour passer les tuyaux électriques d’alimentation », a expliqué le conseiller syndical Jean-Pierre Daubois, de la FSSS-CSN, à mon collègue Réjean Bourdeau.

Les employés craignent de devoir faire les frais des retards qu’occasionnent les problèmes de planification. Par-dessus le marché, les gestionnaires parlent beaucoup en anglais et en espagnol, plutôt qu’en français, se plaignent les syndicalistes.

Devant ces révélations, jumelées à des rumeurs d’avances de fonds du gouvernement au consortium, le grand responsable gouvernemental du projet, Clermont Gignac, a accepté de mettre cartes sur table.

« Je veux être bien clair : il n’y a aucun dépassement de budget au CHUM », nous a-t-il dit dans une rare entrevue.

En fait, le gouvernement n’a demandé que 45 millions de dollars d’extras, dit-il, compte tenu de l’évolution des technologies depuis le début du projet, il y a cinq ans. Ces extras équivalent à 1,3 % de la valeur du projet, aussi bien dire des « pinottes »… si c’est bien le cas.

Mais avec cette pression sur les coûts, le consortium ne risque-t-il pas de tourner les coins ronds ? D’autant plus que l’un  de ses principaux partenaires, OHL, a une situation financière fragile, comme le reconnaît Clermont Gignac.

OHL, rappelons-le, vient de voir sa cote de crédit baisser au rang de B3 par l’agence Moody’s. Cette cote se situe au 16e rang sur 21, ce qui rend les finances de l’entreprise risquées et hautement spéculatives, selon Moody’s. Jamais des investisseurs institutionnels comme la Caisse de dépôt ne prêteraient à une telle firme, dont le titre boursier a d’ailleurs perdu 70 % depuis un an.

Réponse de Clermont Gignac : « Le CHUM a ses équipes de gestionnaires, d’architectes et d’ingénieurs [indépendants du consortium]. Ils font le tour du chantier. Et si quelque chose n’est pas à notre goût, on le leur mentionne. Les constructeurs ne peuvent pas tourner les coins ronds. »

Quant à la situation financière d’OHL, Clermont Gignac n’est pas inquiet. « Le contribuable n’amassera pas la facture, je mets ma tête là-dessus. Le risque a été transféré au consortium. Comme gouvernement, on est très bien protégé avec toutes nos garanties avec le consortium », dit-il.

Il reste que le gouvernement a récemment consenti une avance de 5 millions au consortium pour achever la phase 1 du nouveau CHUM, qui doit être livrée le 6 novembre, avec six mois de retard. Et que ces 5 millions représentent environ le quart des 20 millions de travaux qui restent à faire d’ici là.

Clermont Gignac justifie cette avance par les demandes « de défaire certains travaux, qui n’ont pas encore été payés […] et compte tenu de la situation financière fragile [d’OHL] ».

Quoi qu’il arrive, le gouvernement ne commencera pas à verser au consortium le loyer mensuel pour le nouveau CHUM tant que la phase 1 ne sera pas livrée. Le retard de six mois représente donc environ 70 millions de paiements retenus pour le consortium, dit le gestionnaire.

Bref, tout va bien, selon Clermont Gignac. De leur côté, les employés craignent qu’à la livraison, en novembre, tout soit beau en surface, mais que des déficiences se cachent derrière les murs…

Qui dit vrai ? Chose certaine, il faut avoir l’affaire à l’œil. Après tout, c’est nous qui paierons pendant 30 ans.

*Obrascon Huarte Lain (OHL) et Laing O’Rourke (LOR)

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